Le prix Nobel de médecine de 2022 récompense le biologiste suédois Svante Pääbo. Ses travaux sur l’ADN ancien ont révélé les liens intimes entre néandertaliens, dénisoviens et Homo sapiens et permis d’éclairer leurs trajectoires évolutives uniques.
Son nom circulait pour le Nobel de médecine depuis quelques années… Récompensé le 3 octobre 2022, le biologiste suédois Svante Pääbo se voit couronné 40 ans après que le prix a été attribué à son père caché, le biochimiste Sune Bergström (dont Pääbe était le fils naturel). Le chercheur, actuellement à directeur de l’Institut d’Anthropologie Max Planck de Leipzig (Allemagne) a été honoré pour ses découvertes concernant le génome d’homininés et l’évolution humaine. « En révélant les différences génétiques qui distinguent tous les humains vivants des hominidés disparus, ses découvertes ont donné la base à l’exploration de ce qui fait de nous humains, des êtres aussi uniques » a salué le jury du Nobel. (Lire également sur le site de La Recherche :l’ADN ancien éclaire la trajectoire unique de l’homme moderne« ).
Entre Ötzi et momies égyptiennes
Le Suédois Svante Pääbo a raconté dans sa biographie Neandertal, à la recherche des génomes perdus (Les liens qui libèrent, 2015) l’épopée de la paléogénétique, discipline qu’il a largement contribué à forger depuis les années 1980. Le chercheur a d’abord analysé l’ADN de momies égyptiennes et d’Ötzi, collecté des crottes de paresseux et des os d’ours des cavernes. Jusqu’au Graal : le séquençage, en 2009, du génome de l’homme de Neandertal, à partir d’ossements récupérés à Vindija en Croatie. Séquençage qu’il complètera un peu plus tard avec l’analyse d’un autre ADN néandertalien, celui d’une femme provenant de la même grotte.
Dans la foulée des scientifiques comme Craig Venter, qui ont décodé le génome humain, Svante Pääbo et ses équipes se sont attaqué, dès 2004, à un défi autrement plus compliqué : reconstituer des génomes d’homininés disparus dont l’ADN nucléaire nous parvenait incomplet et très dégradé. Une entreprise difficile, semée d’embûches techniques. Aucun néandertalien, en effet, n’a jamais été retrouvé conservé dans de la glace – comme le célèbre chasseur Ötzi avec des cellules encore fraîches. En outre, si l’ADN nucléaire est plus rare dans les fossiles, il est aussi plus fragmenté et beaucoup plus difficile à extraire que l’ADN contenu dans les mitochondries de l’organisme humain et transmis par les mères. Enfin, il est aussi extrêmement foisonnant, alors que l’ADN mitochondrial ne comporte que 16.569 paires de bases.
Fin 2006, Svante Pääbo annonçait avoir déchiffré un million de ces petites lettres – t, c, a, g – qui composent l’ADN du noyau néandertalien. Un an plus tard, il parvenait à 70 millions puis en 2009, à plus de trois milliards de lettres. Le secret d’un bond aussi spectaculaire résidait dans l’acquisition d’une nouvelle machine de séquençage par l’Institut Max Planck : un bijou du genre nommé « la Solexa », permettant de traiter 40 millions de séquences en une semaine, contre à peine 1 million de séquences en huit jours avec les autres machines.
L’équipe de Svante Pääbo a également privilégié une technique consistant à séquencer de manière aléatoire l’ensemble du génome, en faisant l’économie du fastidieux travail préparatoire de cartographie. Les séquences obtenues ont ensuite été assemblées et ordonnées à l’aide d’un programme, sous la houlette d’une équipe de bio-informaticiens menée par Ed Green. « Le problème est qu’en allant ainsi à la pêche, dans une sorte de vaste «soupe d’ADN», nous récupérons souvent des molécules identiques, des doublons« , racontait alors Johannes Krause, généticien du département à Sciences et Avenir, lors d’un reportage à Leipzig. Il fallait alors, pour les chercheurs, séquencer encore et toujours jusqu’à dénicher des molécules inédites et surtout, dans la mesure du possible, des gènes codant pour les protéines et ayant un rôle décisif.
Une petite part de Neandertal en nous
Aujourd’hui, grâce à la paléogénétique, nous savons que Neandertal et H. sapiens avaient des génomes identiques à 99,5%. Les résultats ont permis d’apprendre que nous avions une petite part de d’ADN néandertalien en nous, variant de 1 à 4% selon les individus. Cet apport n’est pas toujours anodin. En 2020, Pääbo a montré que l’ADN hérité de Neandertal pouvait aggraver les formes de COVID-19 . Tout récemment, le biologique a participé à une étude montrant que c’était au contraire une divergence, une petite mutation au niveau d’une protéine codée par un gène, qui avait permis à H. sapiens de produire plus de neurones dans le néocortex que son cousin disparu.
Les travaux du généticien suédois et de son équipe ont aussi permis d’identifier en 2010 une espèce inconnue, l’homme de Denisova. Et ce à partir de la seule analyse d’une phalange d’auriculaire de la main gauche d’une fillette retrouvée dans la grotte du même nom, en Sibérie.
Esprit brillant, curieux, innovant, Svante Pääbo évoquait dans son livre avec une sincérité détonante les difficultés techniques et problèmes éthiques de son domaine, le recours au génie bio-informatique, les impasses théoriques et dressait le portrait de chercheurs tour à tour « essorés » ou « illuminés » face aux défis. Il n’éludait pas la pression, la coopération puis la compétition inévitable avec d’autres labos. C’est lui qui in fine a décroché le prix mondialement envié. Il ne cesse de creuser son sujet en publiant chaque année, de nouvelles analyses tirées de son extraordinaire travail. Mais pour lui, une seule question subsiste : « Tentera-t-on un jour de ressusciter Neandertal » ?
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source: https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/le-prix-nobel-de-medecine-2022-attribue-a-svante-paabo-pere-de-la-paleogenetique-et-decrypteur-du-genome-de-neandertal_166779