Les personnes porteuses de trois variants génétiques hérités des Néandertaliens sont plus sensibles à certains types de douleur.
A l’exception des populations africaines, tous les humains ont un petit quelque chose de Néandertal en eux. Entre 1 et 4% de son patrimoine génétique nous a été légué par cette espèce, disparue depuis environ 30.000 ans. Et cet héritage a des conséquences sur notre santé. Ainsi, certaines pathologies (maladie du viking, des allergies, voire même l’appétence à la nicotine) sont favorisées par les variants génétiques néandertaliens. Et une nouvelle étude, parue dans la revue Communications Biology, confirme que la sensibilité à la douleur pourrait également être modifiée par ceux-là.
Un gène et trois mutations
Dès 2020, une précédente étude portant sur le gène SCN9A avait identifié trois mutations probablement héritées de Néandertal et présentes chez une très faible proportion de la population britannique (environ 0,4%) qui étaient associées à une plus forte sensibilité à la douleur, évaluée sous forme de questionnaires. « Ce gène code pour une protéine membranaire appelée Nav1.7 qui constitue une porte d’entrée pour l’afflux nerveux qui transmet le stimulus douloureux, à travers la moelle épinière, jusqu’au cerveau« , explique Pierre Faux, généticien des populations anciennement à l’Université d’Aix-Marseille et qui exerce actuellement à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).
Après les populations européennes, ce dernier s’est intéressé à celles d’Amérique Latine où ces variants sont bien plus fréquents : le décryptage des données de 5 971 personnes du Brésil, du Chili, de Colombie, du Mexique et du Pérou indique que la fréquence du variant le plus commun est d’environ 31% dans ces populations. Avec de grandes variabilités dans ce chiffre en fonction du pays d’origine et de l’ascendance, indigène, européenne ou africaine, de l’individu concerné. « Un tel pourcentage de variants offre la possibilité de révéler avec plus de solidité une association significative en termes statistiques« , constate le généticien.
Seuil de douleur
Pour mieux comprendre le rôle de ce gène et des variants, des chercheurs de l’University College de Londres et de l’Université d’Oxford, co-auteurs de l’étude, ont testé le seuil de douleur de 1963 personnes colombiennes. Le protocole mis en place consistait à évaluer la sensibilité au chaud, au froid, à un stimulus mécanique et à la pression avant et après exposition de la peau à de l’huile de moutarde, une substance irritante.
Leurs résultats indiquent que les trois variants étaient associés à une plus forte perception de la douleur mécanique, en particulier après exposition à l’huile de moutarde, mais pas en réponse à la chaleur, ni au froid ou à la pression. De plus, lorsqu’on porte la mutation D1908G, qui est le plus commun des trois variants, on a 30% de risques de porter les deux autres qui vont, eux, presque toujours ensemble. Cela rend difficile l’analyse des effets individuels des variants. « On pense qu’il existe sans doute un effet cumulatif de ces mutations, ce qui signifie que les personnes qui portent les trois ont un seuil de douleur encore plus bas », précise Pierre Faux.
Une population métissée
Les habitants d’Amérique Latine sont issus de trois origines différentes : native américaine, européenne et africaine. Les chercheurs ont également réussi à savoir de laquelle de ces trois branches ces mutations issues de Néandertal proviennent. Ils ont ainsi constaté qu’elles étaient plus courantes dans les populations présentant des proportions plus élevées d’ascendance native américaine, comme la population péruvienne, chez qui la proportion moyenne de cette ascendance était de 66 %. Ces premiers Américains seraient arrivés il y a environ 20.000 ans d’Asie où leurs ancêtres (aussi ceux des Asiatiques actuels) se seraient hybridés avec les Néandertaliens qui y vivaient, il y a environ 50.000 ans, qui leur auraient donc légué ces mutations. Mutations que leurs descendants ont transportées avec eux, bien plus tard, quand ils ont gagné les Amériques.
Mais quelles étaient leur rôle chez l’Homme de Néandertal ? « Difficile à dire d’abord parce que la perception de la douleur relève de plus de choses que d’un simple signal électrique. L’expérience passée de la douleur, l’intégration cérébrale ou les circonstances peuvent moduler cette perception. Il est donc impossible de dire que l’Homme de Néandertal souffrait plus que Sapiens. De plus, on ne travaille ici que sur un seul gène qui semble effectivement abaisser le seuil de douleur, mais il en possédait peut-être d’autres qui contrebalançaient cet effet », précise Pierre Faux.
Enfin, si l’évolution a conservé ces variants au-delà même d’une seule espèce, c’est sans doute qu’ils apportent un avantage évolutif. « La perception précoce de la douleur peut effectivement être utile dans certaines circonstances, mais le gène SCN9A a peut-être aussi une autre fonction dans l’organisme. Et il se peut que ce soit cette dernière qui ait été privilégiée, dans ce cas son rôle sur la douleur n’est qu’un bénéfice secondaire », conclut-il.